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Restitution des résultats du projet Clim FABIAM auprès de la population

10 septembre 2015

Du 10 au 21 Septembre 2015, les chercheurs ont réalisé une mission de restitution des résultats dans les communautés du Lago Grande de Curuai dans le cadre du projet Clim-FABIAM.

Hot-spots de biodiversité, les plaines d’inondation Amazoniennes (várzeas) comptent parmi les écosystèmes les plus diversifiés et productifs au monde. Toujours en mouvement, le littoral de transition entre milieu aquatique et terrestre empêche la stagnation et permet un recyclage rapide de la matière organique et des nutriments, ce qui permet une grande productivité de l’écosystème ainsi qu’une exceptionnelle richesse de la biodiversité. La vie des organismes y est rythmée par les cycles d’inondation annuels. Aux basses eaux, les berges découvertes se recouvrent de vastes pâturages naturels de plusieurs dizaines des kilomètres où les étangs et cours d’eau qui concentrent les nutriments sont propices à la reproduction des poissons. En hautes eaux, le fleuve reprend ses droits, recouvrant toute ces étendues ce qui permet de mélanger les populations et de renouveler les sols de limon.

Attirés par ces conditions favorables, des populations humaines se sont installées depuis plusieurs siècles dans ces plaines d’inondation (initialement, les amérindiens puis des colons métisses, appelés ribeirinhos) et ont appris à vivre avec ces énormes variations de l’environnement, en alternant leurs activités en fonction des saisons. Aux basses eaux, ils plantaient leur champ de manioc dans les limons fertiles et conduisaient des troupeaux sur les pâturages. Aux hautes eaux, ils rassemblaient leurs animaux sur des radeaux accrochés à leurs maisons sur pilotis et leur donnait des fourrages coupés. La pêche était centrale pendant les saisons intermédiaires.  

Ces trente dernières années, la variabilité des pluies et le changement d’occupation du sol (notamment lié à la déforestation) dans le bassin amazonien ont provoqué des modifications de l’hydrographie du fleuve, avec des crues plus hautes et une augmentation de la fréquence des crues exceptionnelles. Ces changements relativement rapides déstabilisent profondément les systèmes de production traditionnels et augmentent la précarité des familles. L’incertitude et la difficulté à prévoir les évènements climatiques et l’intensité des crues rendent difficile le développement de stratégies adaptées sur le long terme. Ces nouvelles conditions résultant de changements à des échelles multiples, il est d’ailleurs difficile de comprendre localement les raisons de ces perturbations.

église à Piedade emportée par la crue 2014

Depuis une trentaine d’années, des études ont montrés ces changements hydrologiques à l’échelle de l’Amazone mais peu d’informations existaient sur l’adaptation des populations à ces phénomènes. En nous appuyant sur un terrain emblématique, le Lago Grande de Curuai, à Santarém, nous avons initié le projet ClimFabiam pour comprendre comment les populations locales s’adaptaient à cet environnement changeant et comment leurs changements de pratiques pouvaient impacter à leur tour la biodiversité aquatique. En mobilisant une équipe pluridisciplinaire, nous avons cherché à relier l’hydrologie et la biochimie de l’eau, l’identification des planctons, et les confronter aux perceptions des acteurs locaux et aux stratégies qu’ils développent. A l’origine de ce projet, les hydrologues et biologistes se posaient la question: est-ce que les résultats obtenus jusqu’à présent sur les dynamiques de ces plaines d’inondation pourrait permettre aux populations locales de mieux anticiper les variations futures du fleuve pour adapter leurs activités et ainsi être moins vulnérable aux changements ? Les chercheurs en sciences sociales ont proposé de renverser la perspective pour initier le dialogue avec les populations : quelles étaient les préoccupations et stratégies des acteurs locaux et qu’attendaient-ils des chercheurs ? Le défi était de mettre en place un processus qui permettrait d’engager un réel dialogue avec les acteurs locaux, pour confronter les modèles scientifiques et les perceptions des habitants. L’idée était de nous baser sur de la modélisation d’accompagnement (ComMod), pour intégrer progressivement les connaissances produites par les chercheurs et les savoirs des différents types d’acteurs du territoire, afin de les mettre en discussion.

Un partenariat avec le Syndicat des habitants du Lago Grande et avec une école familiale rurale basée à Curuai nous a permis de nous rapprocher des communautés de la région et leur proposer de travailler ensemble autour de ces questions. Parmi les plus de 100 communautés de la région, nous avons choisi de focaliser notre travail sur une micro-région constituée de quatre communautés qui représentaient la diversité des préoccupations de la région : une communauté de pêcheurs dans la varzea  ; une communauté au bord de lac, où l’élevage domine ; une à 10 km du lac, sur la « trans-lago », la route qui connecte toute la région, où l’agriculture est la principale activité ; et une plus éloignée, à 20 km du lac, là où de nouvelles terres sont ouvertes. L’école nous a permis un contact rapproché avec des lycéens, futurs agriculteurs fortement impliqués dans leurs communautés. En plus de les initier à nos activités scientifiques, nous avons pu, par leur intermédiaire, comprendre de manière plus informelle et spontanée les préoccupations de la région.

maison sur pilotis, Piracuara

Des activités participatives et des entretiens menés par des anthropologues ont permis de discuter avec les populations locales des changements qu’ils percevaient. L’augmentation du niveau des eaux lors des crues est une de leurs grandes préoccupations, car celle-ci les oblige à redéployer leurs activités en terre ferme et parfois même à abandonner leurs maisons. Les niveaux de plus en plus bas d’étiage sont moins mis en avant, mais les agriculteurs parlent des difficultés liées à la sécheresse et à un décalage des pluies, qui arrivent de plus en plus tard, rendant difficile l’implantation du manioc. Cependant, les principaux changements dans leur vie viennent de pressions externes de grande envergure, comme la pêche industrielle, les troupeaux de milliers de têtes qu’envoient les fazendeiros des communes avoisinantes pour pâturer dans la varzea, la possible ouverture d’une mine de bauxite dans leur territoire ou l’implantation d’un barrage en amont. Ceci révèle des perspectives différentes en terme d’adaptation : bien que les populations locales ne puissent pas grand chose aux changements climatiques, ils semblent y faire face activement, en changeant leurs activités et leurs pratiques ; mais ils se sentent bien plus vulnérables face aux pressions économiques de grande échelle. Ce n’est pas tant le caractère inévitable du changement qui leur pose problème, mais plutôt l’incapacité de déterminer leur futur face à des forces économiques qui les dépassent mais qu’ils perçoivent comme injustes.

Pour comprendre les stratégies développées face aux changements climatiques, un diagnostic des activités agricoles et de pêche a révélé que la récurrence des crues importantes de ces dernières années a restreint le temps d’exploitation et la superficie des pâturages de várzea. Ceci a poussé les agriculteurs vers la terre ferme, pour y planter leur champ de manioc, et ouvrir des pâturages pour les troupeaux. Comme sur d’autres fronts pionniers amazoniens, la perte de fertilité des sols après ouverture induit un cycle continu de déforestation pour compenser les pâturages dégradés, ce qui conduit progressivement à une réduction de la végétation primaire et une augmentation de la forêt secondaire (capoeira). Mais ici, ce phénomène est intensifié par le fait que lors de grandes crues, les éleveurs sont obligés de concentrer leurs troupeaux sur le peu de pâturages disponibles et ces très forts chargements conduisent à dégrader plus vite les pâturages. L’analyse d’images satellite montre que l’ouverture de pâturage est d’autant plus forte après des crues exceptionnelles. Les éleveurs confirment que la forte mortalité de leurs troupeaux les années de grandes crues les poussent à ouvrir plus de pâturages pour consolider leurs réserves de pâturages. D’après les populations locales, l’ouverture de pâturages, souvent au bord des cours d’eau, aurait un impact sur les rivières qui vont se jeter dans le lac, les asséchant et modifiant leur qualité.

A ces changements d’occupation des sols vient s’ajouter une augmentation démographique dans les villages de bord du lac. La surface urbanisée a été multipliée par huit entre 1985 et 2014, entre autre à cause de l’abandon des villages de varzea qui devenaient trop précaires avec les crues hautes à répétition. Les effluents d’origine humaine se concentrent et impactent considérablement la qualité de l’eau et les peuplements des micro-organismes aquatiques. En particulier, nos analyses montrent une augmentation de la présence de cyanobactéries, qui dominent les  peuplements phytoplanctoniques à plusieurs époques du cycle d’inondation. Ceci constitue une menace tant pour la santé humaine et animale que pour les dynamiques des populations de poissons. Les cyanobactéries occupent notamment les zones de transition entre milieu terrestre et aquatique, où les poissons se reproduisent le mieux. Leur présence peut donc affaiblir plus encore les stocks de poissons, déjà mis à mal par la pêche industrielle et le non-respect des règles de pêches communautaires.

Pour mettre en débat avec les acteurs locaux ces différents résultats et hypothèses, un modèle a progressivement été formalisé. Ce modèle propose une représentation simplifiée de la réalité, qui met en avant les principaux enjeux liés à l’adaptation. Dans un premier temps, nous avons construit avec les élèves de l’école familiale rurale un jeu de rôle, Varzea Viva. Les 4 communautés avec lesquelles nous travaillons y figuraient, chacune représentée par 4 propriétés agricoles. Chaque joueur a une propriété, qu’il doit aménager selon ses envies et en fonction des contraintes de la réalité : main d’œuvre, argent et localisation. Un des principaux enjeux collectifs du jeu était les troupeaux de bétail, qui devaient circuler entre la varzea et les pâturages de terre ferme, obligeant les joueurs qui n’avaient pas de pâturages au moment des inondations à trouver quelqu’un qui leur louerait son pâturage. Des sessions de jeu dans chacune des 4 communautés, puis rassemblant les 4 communautés, ont permis de riches échanges avec les agriculteurs et pêcheurs, notamment autour des contraintes qu’ont les autres acteurs de leur région et autour de la planification à long terme. Pendant ces sessions, les acteurs abordent spontanément l’impact de leurs activités sur les ressources naturelles mais sans réussir à expliciter les relations de cause à effets.

Afin de mieux formaliser les relations entre activités humaines et environnement, un modèle informatique a été construit dans le prolongement du jeu. Basé sur la même structure qui avait été validée par les acteurs, ce modèle cherche à spécifier les impacts des activités à partir des données des chercheurs et à accélérer le temps, en simulant des pas de 4 ans. La dégradation des pâturages et la diminution des stocks de poisson sont ainsi mieux mis en évidence. Une première session de scénario a été réalisée avec les élèves de l’école familiale rurale et a permis de vérifier la compréhension et l’ergonomie de l’interface. Nous prévoyons maintenant de réaliser des sessions dans les communautés avec les agriculteurs et pêcheurs, pour voir quelles stratégies ils envisagent à long terme face aux changements environnementaux et quels scénarios alternatifs ils proposeraient. A terme, ce modèle devrait être utilisé de forme autonome par les acteurs, pouvant ainsi devenir un outil d’animation pour les ONG ou écoles.

Pour devenir une vraie équipe interdisciplinaire, le grand enjeu pour nous a été d’abord d’apprendre les uns des autres pour pouvoir mieux travailler ensuite avec les populations locales. La construction d’un modèle informatique commun nous a obligé à partager de manière simple les informations qui avaient été collectées par les différents groupes de travail. Cette simplification n’est pas toujours facile et peut être ressentie par certains comme trop d’approximation. Mais elle est nécessaire pour pouvoir présenter de manière accessible nos résultats et les débattre. Nous avons du également trouver les points d’intérêts communs avec les communautés locales, notamment en traduisant le concept de « biodiversité aquatique » en enjeux concrets qui font sens pour les acteurs localement. Le premier enjeu était la pêche, mais les acteurs ont été fascinés par les planctons aux formes incroyables et qu’ils ignoraient côtoyer au quotidien. Nous avons également découvert que la qualité de l’eau et les cyanobactéries devenaient une réelle préoccupation pour eux. La restitution des résultats aux communautés, au travers de cartes (laissées dans les écoles des communautés), de présentations de graphiques et de petits jeux ludiques (sur les planctons par exemple) a permis de marquer la fin d’une première étape d’un partenariat fructueux.